quinta-feira, 1 de novembro de 2007

Harry Potter é de esquerda?



Harry Potter et les Reliques de la mort est sorti en France cette nuit à 0h01. C’est le septième et dernier tome de la série de J.K. Rowling. Les lecteurs vont enfin savoir qui meurt et qui ne meurt pas. Jean-Claude Milner, linguiste et philosophe, a lu la saga. Il nous explique en quoi elle est très politique.

Magie contre Maggie

«Ce qu’il faut dire d’abord c’est que Harry Potter est profondément politique et qu’il parle de l’Angleterre d’aujourd’hui. En le lisant, on a le sentiment que J.K. Rowling considère, comme beaucoup d’Anglais cultivés, qu’il y a eu une vraie révolution thatchérienne, catastrophique, et que la seule possibilité désormais pour la culture est de survivre comme science occulte. Ce que dit J.K. Rowling c’est qu’à côté de la mondialisation il y a autre chose, la culture n’est pas impuissante. La vision que J.K. Rowling a de l’Angleterre est liée au “moment élisabéthain”, ce moment essentiel où la Renaissance européenne s’est manifestée dans le monde anglais. C’est l’époque où le système anglais prend sa forme définitive, l’époque, notamment, où les public schools et les universités d’Oxford et de Cambridge échappent à la mainmise de l’Eglise.
Or la Renaissance anglaise (comme l’a montré l’historienne Frances Yates) a lié ensemble les études classiques (le grec et le latin) et les sciences occultes (la magie blanche). Par ailleurs, cette époque est représentée par un personnage central, John Dee, qui était savant, alchimiste et philosophe et qui pensait que les sciences occultes devaient servir au bien public. Son influence est palpable dans les pièces de Shakespeare.

Si on prend Poudlard, l’école des sorciers fréquentée par Harry Potter, on voit bien qu’elle fonctionne sur le modèle des public schools, comme Eton. Quant au directeur, Albus Dumbledore, en latin son prénom signifie “blanc”, comme dans “magie blanche”. Et, dans Dumbledore, il y a deux d, une référence à John Dee. Dans le dispositif décrit par Frances Yates, ce qui est visible, ce sont les sciences classiques ; ce qui est caché, ce sont les sciences occultes. Dans le monde de Harry Potter, c’est le contraire. Ce qui est caché, ce sont les relations aux langues anciennes, comme le latin, mais aussi au français, très présent à Poudlard avec les Griffons d’Or, Voldemort, Malefoy…

On dit que J.K. Rowling a redonné le goût de la lecture aux enfants. C’est vrai, mais ce n’est pas tout. Elle a aussi rétabli les relations avec un latin paré de vertus séductrices, et avec le français, qui a une place très particulière dans l’Angleterre contemporaine. Les membres de la famille royale doivent apprendre le français, notamment parce qu’il est parlé dans les îles Anglo-Normandes, qui font partie du royaume. Et si les tabloïds anglais font si souvent du French bashing c’est qu’en Angleterre le français est traditionnellement lié à la fois au pouvoir de type féodal et à une culture élitiste. Ce n’est donc pas un hasard si Dumbledore est un ami de l’alchimiste français Nicolas Flamel et si le français est présent dans Harry Potter. Cela fait partie de la relation que les Britanniques cultivés, comme Rowling, ont avec le français.»

Les damnés de la terre contre les Moldus

«Dans Harry Potter, le mot moldu signifie “non sorcier”, mais pas seulement. L’oncle et la tante de Harry, des Moldus par excellence, vivent comme les héros du monde de Margaret Thatcher, dans un quartier propret où toutes les maisons se ressemblent. Or l’Angleterre contemporaine est le monde où les Moldus ont pris le pouvoir, avec Margaret Thatcher puis avec Tony Blair. Un monde où s’exprime toute la puissance de la middle class. Dans Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, il y a une tante, particulièrement détestable, à qui Harry jette un sort. Elle gonfle et s’élève dans les airs comme un ballon. On peut voir là une référence au Dictateur de Chaplin (et une figure de la toute-puissance de la middle class devenue folle), mais on ne peut s’empêcher de remarquer que la tante s’appelle Marge, une allusion évidente à Thatcher. Dans le film, d’ailleurs, elle porte le même genre de vêtements et a sur la tête le même casque de bouclettes.
Dans le monde décrit par J.K. Rowling, il y a donc les Moldus, qui représentent la middle class thatchéro-blairiste (qui va de la lower middle class à l’upper middle class), et puis les autres : le peuple, les gens cultivés et les aristocrates désargentés, autant de gens censés se retrouver dans les public schools ou à Cambridge.

De même qu’à Poudlard se retrouvent des enfants issus de familles où on a toujours été sorcier (comme le méchant “sang pur” Malefoy), et ceux qui, comme Hermione, deviennent sorciers par le savoir. Cette alliance de l’aristocratie et du peuple contre la toute-puissance de la middle class s’inscrit dans une longue tradition anglaise.

Les poètes Byron et Shelley ont écrit sur le sujet, Marx en a parlé dans le Manifeste, cette idée animait le groupe de Bloomsbury, dont faisait partie Virginia Woolf, mais aussi ceux qu’on a appelés les Cinq de Cambridge, les espions prosoviétiques des années 50. Il y a toujours eu en Angleterre un mouvement, plus ou moins issu des universités, opposé à l’économie libérale. Les étudiants sortis d’Oxford et Cambridge ont plus de points d’accord avec les damnés de la terre qu’avec la middle class.»

Le latin et le grec contre la mondialisation

«Si Harry Potter a un tel succès chez les adultes et pas seulement chez les enfants, c’est sans doute parce que les Anglo-Saxons et tous ceux qui sont touchés par la mondialisation y perçoivent – consciemment ou non – une machine de guerre contre les interprétations marchandes du système démocratique. Tout le monde est égal dans la course au profit”, c’est ce que dit le modèle thatchérien. C’est aussi ce que dit le modèle américain. Et, dans ces modèles, tout ce qui pourrait représenter un rapport à la culture est une entrave dans la course au profit.
Chez J.K. Rowling, au contraire, il y a l’idée que le monde des Moldus est une somme de petites oppressions. Alors que, dans le monde de Poudlard, il y a certes des inégalités, mais, en même temps, comme la culture est ouverte à tous, Hermione, fille de Moldus, peut faire mieux que Malefoy, fils de sorciers. Ce qui peut apparaître comme élitiste est en fait une égalité réelle, par opposition à l’égalité non réelle du monde des Moldus. En cela, Harry Potter est une machine de guerre contre le monde thatchéro-blairiste et l’American way of life.

Contrairement à J.R.R. Tolkien qui, avec le Seigneur des anneaux, célèbre un “monde d’avant” et est donc réactionnaire, J.K. Rowling est, elle, une vraie libertaire animée d’une volonté de préservation. C’est comme si elle disait : “Apprenez le grec et le latin au lieu d’étudier le marketing. Vous pourrez ainsi peser sur le monde de manière inattendue.” Les vrais magiciens, ce ne sont pas les spins doctors [les conseillers en marketing politique, ndlr] de Tony Blair, mais ceux qui savent le grec et le latin.»

Noblesse de cœur contre tyrannie

«Le sorcier Voldemort est au fil des livres une figure de plus en plus terrifiante, c’est le super-spin doctor. Il détient les secrets des sciences occultes, et en fait un instrument de pur pouvoir. Parce que, pour J.K. Rowling, la culture ne porte pas en elle-même la garantie contre son mauvais usage. Ce mauvais usage, c’est la passion qu’un sujet éprouve à opprimer d’autres sujets, et c’est la seule passion qui conduit à la déshumanisation de celui qui en est habité. Dans Harry Potter, Voldemort est le plus grand des méchants parce qu’il est le plus grand des sorciers. Il est habité par la passion de peser sur les sujets, la pire passion possible. Et c’est là que réside la seule inégalité contre laquelle il n’y a rien à faire : l’inégalité en noblesse d’âme, en générosité. Harry en est doté, pas Malefoy.
Dans cette histoire, on a donc d’un côté le monde des Moldus, où l’oppression c’est le pouvoir sur les choses ; de l’autre, le monde de Poudlard, où le savoir peut permettre de résister à la chosification du monde des Moldus, mais ouvre aussi la possibilité d’un pouvoir sur les sujets. Ce pouvoir redoutable, que recherche Voldemort et qu’on peut appeler tyrannie, est un des thèmes de Harry Potter, c’est un des thèmes récurrents dans la littérature anglaise depuis Dickens et Orwell.»

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