La particule qui trahit le nucléaire
Une expérience française vient de comprendre comment comptabiliser des antineutrinos. De quoi déceler toute activité nucléaire licite... ou illicite.
Repérer les sous-marins les plus silencieux, contrôler le refroidissement d'une centrale nucléaire en direct, veiller à l'application du traité de nonprolifération nucléaire ou encore comprendre comment se refroidit le coeur de la planète. Ce programme alléchant mêlant sécurité, stratégie et science fondamentale est aujourd'hui possible grâce aux connaissances acquises récemment sur les us et coutumes d'une particule discrète nommée antineutrino. Cette petite chose pullule - des milliards d'antineutrinos (l'antimatière du neutrino) nous traversent à chaque seconde - car chaque réaction de désintégration radioactive qui fait suite à la fission de l'uranium en libère. Les physiciens le savent depuis les années 1930 et les détectent depuis les années 1950. En principe, donc, il suffit de détecter et de comptabiliser les antineutrinos pour remonter ainsi à la réaction d'origine et espérer contrôler, voire déjouer, une activité nucléaire indésirable. Sauf que ces particules ne se laissent pas facilement piéger. Pire, elles ont le pouvoir de se «travestir».
Premier défi, la détection : les particules doivent percuter la matière. «Or la probabilité qu'un antineutrino inter agisse avec la matière est la même que si on lançait une pièce d'un euro au-dessus du système solaire en attendant qu'elle échoue sur la tête d'une personne !», explique Thierry Lasser- re, du Commissariat à l'énergie atomique.
Deuxième défi, compter les particules malgré leurs «changements d'identité» permanents, étrange propriété repérée depuis 1998. Des expériences menées au Japon ont montré que les antineutrinos «oscillent» entre trois formes, chacune rattachée à un des trois groupes de particules de matière : l'électron, le muon et le tau. Au cours de leur propagation, ils passent d'une variété à l'autre (ce qui signifie, dans le cadre des lois de la physique quantique, qu'ils possèdent une masse, même si celle-ci est plusieurs millions de fois moindre que celle de l'électron). Il a donc fallu apprendre à mesurer et calibrer ce phénomène de changement d'identité, un travail international qui se poursuit à proximité de la centrale nucléaire de Chooz, dans les Ardennes, dédiée à la recherche. «Nous avons désormais la conviction que nous comprenons assez le neutrino pour s'en servir comme un outil, raconte Michel Cribier, du CEA.
Justement, l'Agence internationale de l'énergie atomique a lancé en 2004 une réflexion sur les nouvelles manières de contrôler la production de plutonium des centrales nucléaires. Des applications inattendues se profilent donc : puisque les réacteurs, les sous-marins nucléaires, les accélérateurs de particules et aussi la Terre elle-même émettent ces particules, il est possible de mesurer en retour leur activité nucléaire et déterminer sa nature ! Que ce soit celle des réacteurs, des essais atomiques souterrains (voire atmosphériques) ou encore la radioactivité naturelle des roches de la croûte et du manteau de la planète, pour comprendre la chaleur héritée de la formation du globe...
«Nous possédons aujourd'hui le savoir-faire pour fabriquer des détecteurs, mobiles ou non, adaptés à ces neutrinos !», reprend Michel Cribier. Un colloque, organisé à Paris en décembre dernier a permis de lancer la physique du neutrino appliquée.
Azar Khalatbari
Sciences et Avenir
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Há 11 anos
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